De l'inverti au gay, une histoire de l'homosexualité en France

En marge de la marche des Fiertés, Brut signait un documentaire sur l'histoire des gays, en France. Un documentaire partiel et partial, très teinté d'Américanisme... Du Brut, quoi. Essayons d'être plus exhaustif...

Les origines
Il y avait déjà des homosexuels dans les cours. Les protestants accusent Henri III de coucher avec ses favoris (ou "mignons".) Philippe d'Orléans, dit Monsieur le frère du roi [Louis XIV], ne cache pas ses penchants. C'est un adepte de tenues extravagantes. On le force néanmoins à se marier. A l'époque, il n'y a pas de milieu homosexuel ou de culture homosexuelle. Il n'y a que des individus isolés de la haute société qui pratiquent les "mœurs italiennes" et s'affichent plus ou moins. La ligne rouge, c'est la pédérastie. Jean-Baptiste Lully est ainsi disgracié lorsque éclate son aventure avec un très jeune page.

En 1791, la révolution dépénalise l'homosexualité. C'est la culture Française du "tant que ça reste entre adultes consentants, on n'a pas à intervenir." Loin du puritanisme Anglo-saxon, où même dans l'intimité, les individus doivent faire preuve de décence. Condamné en Grande-Bretagne, Oscar Wilde s'enfuit à Paris, à sa libération. Pour autant, peu de gens sont ouvertement homosexuels. La plupart sont mariés, ils ont des enfants. Ils font le mur pour des étreintes éphémères. Les vespasiennes, installées dans Paris à la fin du XIXe siècle sont un lieu de drague privilégié. D'autres se retrouvent dans le Bois de Vincennes ou le Bois de Boulogne. Dans le lot, il y a des prostitués et des mineurs. La police effectue régulièrement des descentes. Les gens sont arrêtés (et souvent condamnés à de la prison ferme.) L’exhibitionnisme et la corruption de mineur (un mineur a le droit d'avoir des rapports hétérosexuels à 15 ans, mais il doit attendre 21 ans pour un rapport homosexuel) sont des paravents. Au XXe siècle, une loi sur l'interdiction de porter des vêtements de l'autre sexe est un moyen pour condamner les travestis.
En 1909, un certain Renard est accusé d'avoir tué son employeur. Le fait qu'il soit homosexuel, donc pervers, convainc la cour et il est envoyé au bagne, malgré un dossier vide.
Le mondain
Au début du XXe siècle, Marcel Proust est un écrivain homosexuel mettant en scène d'autres homosexuels. Une scène de Sodome et Gomorrhe (1921) est particulièrement explicite. Il est le précurseur d'un premier personnage d'homosexuel, le mondain. Bientôt, on trouve normal que dans la littérature, la mode, la musique ou le cinéma, il y ait des homosexuels. Leur orientation va de pair avec leur sensibilité artistique "féminine". On les tolère. D'une manière symétrique, on voit apparaitre des femmes masculines, ayant des occupations d'hommes (notamment le sport, alors presque exclusivement masculin) et sortant avec des femmes.
Les chansonniers se moquent des homosexuels efféminés et des lesbiennes très masculines. En 1920, Maurice Chevalier chante C'était une fille sur le mariage d'une fille très masculine avec un travesti. Le comique Dranem chante lui Henri, pourquoi n'aimes-tu pas les femmes ? (1929.) En 1922, Victor Marguerite, un hétéro, écrit La garçonne, mettant en scène une jeune femme bisexuelle. En le lisant, des jeunes filles se seraient mises au saphisme ! Du moins, c'est ce qu'en disent les détracteurs. Victor Marguerite se voit retirer la légion d'honneur.
Pour autant, l'homosexualité est une luxe de la haute bourgeoisie citadine. C'est une homosexualité récréative ; il n'y a aucune revendication sociétale ou politique. Le milieu gay, lesbien et travesti est avant tout celui de la nuit. L'éphémère et très confidentielle revue Inversions (1924) fondée par trois Allemands se veut plus politique. Mais elle est vite interdite.

L'Allemagne nazie se montre impitoyable avec les homosexuels. Elle annexe l'Alsace et la Lorraine, où 206 personnes sont arrêtées et dépotées car homosexuels. 4 ouvriers Français du STO sont également arrêtés et déportés. Du reste, même en zone occupée, les nazis se montrent plus tolérants. 62 Français sont néanmoins arrêtés pour homosexualité, dont 13 meurent en déportation. En 1941, Gerhard Heller, en charge de la censure littéraire, organise un voyage à Weimar de sept écrivains collaborationnistes (dont cinq plus ou moins ouvertement homosexuels.) Marcel Jouhandeau a même droit à un escort-boy, Hans Baumann. Le virilisme de l'Allemagne nazie, l'omniprésence de l'image du jeune Allemand (parfois nus) et les fêtes somptueuses fascinent. A son retour à Paris, Abel Bonnard est nommé Ministre de l'éducation de Vichy. Ses détracteurs le surnomment "gestapette". Robert Brasillach, rédacteur en chef du très antisémite Je suis partout, est condamné à mort à la libération. Son homosexualité est retenue comme une circonstance aggravante.

Les folles
Au cinéma et au théâtre, un nouveau personnage apparait : la folle. C'est une caricature d'homosexuel efféminé et extravagant. Il est avant tout utilisé comme ressort comique : un homme qui singe (mal) les femmes. C'est un personnage de second plan, sur lesquels les réalisateurs s'attardent peu et on ne le voit jamais en couple... Pour autant, la folle serait impensable dans le cinéma Américain contemporain. Puis il y a La cage aux folles (1973.) Jean Poiret et Michel Serrault campent un couple des folles vieillissantes. Pour la première fois, une œuvre grand public évoque l'homosexualité sous la forme d'une relation maritale et on parle même d'homoparentalité, avec ce fils d'un précédent mariage qui apparait.

Un an plus tôt, Charles Aznavour chante Comme ils disent, racontant à la première personne la vie d'un travesti. Dans la vraie vie, les homosexuels rasent les murs. Les amours homosexuels sont des amourettes maudites. A la scène, par contre, l'ambiguïté sexuelle est l'ultime provocation pour les rockers. Serge Gainsbourg, Michel Polnareff (victime d'une agression homophobe) et Daniel Balavoine en jouent volontiers pour vendre des disques. Puis vient l'ère du disco. Dans ce décor de strass et de paillettes importé des Etats-Unis, l'homosexualité fait parti du décor. Dave et Patrick Juvet se cachent à peine. Quant à Amanda Lear, elle laisse courir la rumeur comme quoi elle serait un travesti... Bien plus tard, Indochine remet à jouer la provoc' avec Troisième sexe, sur la pansexualité et le travestissement.

La communauté
Lors de mai 1968, à la Sorbonne, il y a des débats sur l'homosexualité. Puisque les étudiants veulent libérer la sexualité, il semble logique de libérer les tabous pesant sur l'homosexualité. Néanmoins, pour les communistes et les maoïstes, l'homosexualité est une pratique perverse issue de la décadence occidentale. Des militants homosexuels, comme Guy Hocquenghem ou Jean Le Bitoux, finissent par claquer la porte des mouvements communistes.
L'année suivante, à New York, la police fait une descente au Stonewall Inn, un bar gay et cela tourne à l'émeute. En juin 1970 a lieu la première gay pride et le mouvement essaime en occident. L'idée d'une conscience homosexuelle se répand. Ils doivent sortir du maquis et se regrouper, afin de former une communauté. C'est une communauté transnationale. L'homosexuel Français a davantage en commun avec l'homosexuel Américain qu'avec l'hétérosexuel Français. Alain-Philippe Malagnac, protégé de Roger Peyrefitte, ouvre le Bronx, l'un des premiers bars gay parisien. Le Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire (FHAR) est l'un des premiers mouvements revendicatifs. Le FHAR prône les coups d'éclats, comme l'invasion des meetings d'homophobes. Organisation anarchiste et traversée par de nombreux courants, c'est un feu de paille. Jean Le Bitoux entre en politique avec le Mouvement de Libération Homosexuelle (MLH.) Le MLH milite pour une vie homosexuelle insouciante. Une contre-société de l'instant présent, vu que l'homosexuel n'a pas vocation à se marier, à avoir des enfants ou même à vivre vieux. En 1979, il fonde Gai Pied, la LCR lui donne ses rotatives. Des auteurs comme Renaud Camus (NDLA : oui, celui du Grand remplacement !) chantent les louanges des back-rooms et des relations d'une nuit. Tony Duvert et René Scherer veulent étendre la libération sexuelle à la sexualité enfantine.
On voit apparaitre encore un autre personnage : le dandy homo. Un personnage cultivé, souvent écrivain ou journaliste, qui passe ses nuits au Palace, entre drogue et sexe. Un personnage décadent qui brûle la vie par les deux bouts, tel Alain Pacadis (un ancien du FHAR), étranglé à 37 ans, au bout d'une nuit de débauche... C'est le comble du néo-romantisme.

Les années sida
En 1981, François Mitterrand est élu président. Les subversifs d'hier fréquentent désormais des ministres et des députés. En 1982, l'affaire du Coral (un centre d'éducation alternatif où supposément des notables pédophiles abusaient d'enfants) est sans doute une manipulation grossière. Mais il n'est désormais plus question de tolérer les pédophiles ; les homosexuels s'en dissocient. Du reste, Gai Pied s'embourgeoise, avec un contenu davantage taillé pour les annonceurs. Les "historiques" (notamment Jean Le Bitoux) s'en émeuvent et partent.
Dès le début des années 80, aux Etats-Unis, des médecins s'étonnent d'une surmortalité des patients homosexuels et d'une baisse de leur défense immunitaires. On parle alors de sida. En 1983, le professeur Luc Montagnier identifie un virus responsable de cette maladie. Au milieu des années 80, les homosexuels sont montrés du doigt. La surconsommation sexuelle et l'héroïne en intraveineuse, ces comportements autodestructeurs naguère si romantiques, favorisent l'épidémie. Le peu d'acceptation sociale dont bénéficiait la communauté s'évanouit. C'est un tour de vis moral. Jean-Marie Le Pen évoque des "sidatorium" où il voudrait regrouper les sidéens pour mieux les extraire de la société. Gai Pied est brièvement interdit, en 1986. C'est le retour des homosexuels qui se marient avec des femmes pour sauver la face, comme Yves Mourousi. Bars gays et cinémas X gays ferment. Les rencontres fugaces, via le Minitel ou dans les recoins des villes, reviennent en force. Yves Saint-Laurent dit à son chauffeur qu'il va "recoudre les boutons des messieurs".
A la fin des années 80, les anciens militants homosexuels meurent du sida, comme Guy Hocquenghem. Souvent dans l'oubli et la honte. La maladie est vue comme une punition pour une vie dissolue. Dans le cas de certaines personnalités, comme l'humoriste Bruno Carette, elle est à peine dite du bout des lèvres. Face à cette exclusion, un milieu associatif tente à la fois d'informer sur la prévention et de militer pour une meilleure prise en charge des malades. Act Up Paris voit ainsi le jour en 1989. Cleews Vellay s'y impose comme leader. Il renoue avec l'agit'prop du FHAR, envahissant réunions et émissions de télévisions où sont présents des personnalités homophobes. La radicalité du discours d'Act Up est clivante. Notamment lorsque Christophe Martet prend le micro lors d'un Sidaction très bon enfant. Celui qui se définissait comme "la présidente d'Act Up" meurt en 1994 du sida. La sécurité sociale ne commença à lui payer ses indemnités que plusieurs mois après sa mort.

La seule figure homosexuelle tolérée à l'écran, c'est la drag queen. Une version moderne de la folle.

Les années Têtu
Pierre Bergé, cofondateur du Sidaction et compagnon d'Yves Saint Laurent, fonde Têtu. C'est une réponse à l'homophobie ambiante. Par rapport à Gai Pied, qui traitait à part-égale de philosophie et de plan-culs, Têtu se veut plus accessible et plus propre sur lui. Les mot "homosexuel", trop connoté "sexe" est remplacé par le terme "gay", plus neutre. On voit également apparaitre le terme "homophobie". Têtu est là pour promouvoir le gay des années 90, un CSP++ urbain, de centre-gauche, vivant maritalement et qui réclame des droits (mariage, adoption...) C'est le gay gendre-idéal. Le militantisme gay ne se fait plus dans la rue, mais dans les partis politiques. En 1999, le PACS permet aux couples du même sexe de s'unir. Les "sale pédé" et "sale gouine" sont désormais punis par la loi. Le magazine distribue les bons points et les mauvais points, ruinant la campagne 2002 d'un Lionel Jospin jugé trop timide.
Les gays osent de nouveau sortir du bois. En 2001, Bertrand Delanoë est élu maire de Paris. C'est le premier homme politique Français de premier plan à être ouvertement gay. Jean-Luc Romero, élu de droite, est outé en 2000 ; il annonce sa séropositivité l'année suivante. Depuis, de Jean-Jacques Aillagon à Franck Riester, en passant par Florian Philippot ou Bruno Julliard, l'opinion publique n'est plus du tout choquée de voir des hommes politiques gays.

Bien sûr, Têtu, puis Pink TV, évitent les sujets qui fâchent, comme la sexualité tarifée ou la drague. Le goût du barebaking de Guillaume Dustan ou celui de Frédéric Mitterrand pour les adolescents Thaïlandais sont balayés d'un revers de la main : ce sont des non-phénomènes. Impossible aussi de critiquer la controversée association Le refuge, qui prend en charge les jeunes sans-abris gays et lesbiens.

Au cinéma, l'homosexualité se normalise grâce des comédies. Gazon maudit (1995) traite du lesbianisme. Pédale douce (1996) et Le derrière (1999) évoquent le milieu gay. La fête des pères (1990) et Comme les autres (2008) évoquent l'homoparentalité et le désir d'enfant. Les personnages et les situations ne sont pas toujours très fins, mais ils participent à une acceptation.

LGBTQ+
En 2013, avec le mariage pour tous, François Hollande accorde enfin le mariage aux homosexuels. L'aboutissement d'un combat encore plus difficile que le PACS. L'adoption suit dans la foulée. Un deuxième train de réformes sociétales, incluant la GPA, reste lettre-morte. La lune de miel du quinquennat Hollande s'achève avec la polémique sur l'ABCD de l'égalité.

Venu des Etats-Unis, un nouveau militantisme gay apparait. Il y a de nouveaux enjeux sociétaux, comme la démultiplication des genres et des orientations sexuelles. Il y a un nouveau story-telling sur le gay, éternel damné. Il y avait le parti des 75 000 fusillés, il y a désormais celui des 75 000 morts du sida et des 75 000 victimes d'agressions homophobes. Le milieu associatif connait un renouveau. Des films très militants comme La vie d'Adèle (2013) ou 120 battements par minute (2017) ont permis de remobiliser. Le milieu gay est conscient que leurs AG sont pleines de cadres sup blancs. D'où l'envie de se diversifier. Faut-il accepter des militants indigénistes voire fréristes ? Le discours est ambigüe. Ces militants veulent bien des gays, tant qu'ils se tiennent loin des banlieue (pour ne pas qu'ils les "contaminent".) L'affaire Théo révèle la peur que des policiers sodomites ne violent des jeunes hommes des cités pour mieux les convertir aux plaisirs entre hommes... Et s'ils militent contre les expulsions de sans-papiers gays, c'est par peur qu'ils n'importent l'homosexualité sur le continent africain... Certaines associations comme Aides acceptent de jouer les idiots-utiles, pourvu que cela puisse étendre leur base militante. D'autres, comme Act-up sont conscients que c'est un jeu dangereux. Qui plus est, par derrière, on a vu des indigénistes vociférer contre "le lobby pédé-gouine" et les fréristes étaient au premier rang de la manif pour tous...

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