Le jardin des partouses

Le Jardin de Bagatelle est l'un des plus beaux jardins de Paris. Il n'est pas rare d'y voir des mariés s'y faire prendre en photo. Pourtant, ce jardin cache un secret plutôt coquin...

L'histoire officielle du jardin débuta en 1775. Le comte d'Artois (futur Charles X) tomba amoureux de cette folie à l'abandon. Marie-Antoinette, sa belle-sœur, lui fit le pari de restaurer les lieux le temps qu'elle parte en voyage. Soit deux mois.

François-Joseph Bélanger se chargea des travaux du bâtiment. Thomas Blaikie, lui, créa un jardin très vaguement inspiré des jardins de Hangzhou. D'où les Chinoiseries, ces curieuses pagodes.

Entre la révolution, l'empire et la restauration, le château de Bagatelle est laissé à l'abandon. Richard Seymour-Conway, un Anglais francophile racheta le château, ainsi que des domaines adjacents. 

En 1870, son héritier (et fils biologique ?), Richard Wallace poursuivit son œuvre. L'essentiel du château fut rasé, pour laisser davantage de place aux jardins. C'était le temps des "tableaux", où à coup de mare artificielle et de monticules (belvédère, cascade...), on créait des vues.

"Seery", l’exécuteur testamentaire de Wallace, revendit le mobilier et les statues. En 1905, la mairie de Paris mit la main sur le jardin, alors qu'il tentait de le vendre à la découpe. C'est le jardin de Bagatelle, tel qu'on le connait aujourd'hui, avec son agencement un peu désuet, voire kitsch. Au moins, la maire de Paris et ses "experts en végétaux" se sont abstenus jusqu'ici d'y toucher.

Mais pourquoi "Bagatelle" ?

Victor, duc d'Estrées, entra dans l'armée à 16 ans, en 1676. Il fut de toutes les guerres, cumulant les honneurs, jusqu'à devenir Maréchal de France, en 1703. Entre temps, en 1698, à 38 ans, il épousa Lucie de Noailles (âgée alors de 15 ans !) Ils n'ont pas d'enfants et Victor Marie fut le dernier duc d'Estrées. Sa reconversion comme ministre de Louis XV fut un flop. Par contre, il investit dans le Système de Law, une proto-obligation, qui le rendit richissime.

En 1720, le duc d'Estrées racheta un pavillon de chasse (construit en 1716), à l'est de Paris. Il y fit bâtir un château. Sa femme, Lucie de Noailles, y organisait des parties fines avec Louise-Anne de Bourbon-Cordée, alias mademoiselle de Charolais. D'où le nom de "Bagatelle", un euphémisme pour les orgies ! Le tout-Paris libertin se rendait là. L'emplacement, en pleine forêt, était discret. Mademoiselle de Charolais ne portait qu'une robe de moine, afin de pouvoir être nue en quelques secondes...
En 1737, le duc d'Estrées mourut. Lucie de Noailles mourut en 1745. Mademoiselle de Charolais continuait de se rendre à Bagatelle, jusqu'à son décès, en 1758. La rumeur disait qu'elle y allait lorsque l'on voyait qu'elle était enceinte et qu'elle y accouchait discrètement, les fruits de ses liaisons... Elle avait pourtant 50 ans à la mort de Lucie de Noailles...

Etienne Guinot, marquis de Monconseille, était un autre militaire de carrière. A 30 ans, il épousa Cécile de Curzay, âgée de 18 ans. En 1746, le marquis racheta le château de Bagatelle.
Sa femme, proche de Mademoiselle de Charolais, se mit en tête de "poursuivre l’œuvre de Lucie d'Estée". La quarantaine, elle organisa des fêtes, tandis que le vieux marquis prenait sa retraite à Saintonge. Les orgies, accompagnées de fêtes somptueuses finirent par ruiner le couple. Le château passa de mains en mains, de 1770 à 1775, jusqu'au Duc d'Artois.

Le duc d'Arthois n'était a priori pas un adepte des partouses. Mais il tint à donner un style érotico-antique aux lieux. La sphinge serait inspirée de Rosalie Duthé, une courtisane qui a visité de lit du Duc d'Arthois...

Ainsi, l'air de rien, dans ce jardins pour grand-mères, il y a en fait les fantômes de partouzeurs et de libertins mondains du XVIIIe siècle. Jusqu'au nom du jardin...
C'est si discret et subtile que le non-initié n'y verra que du feu, comme pour le temple de la Venus Callipyge du château de Chantilly...

J'en suis parti avec cette carte postale. Avec la perspective, on a l'impression que le buste est un bateleur hilare. Il vous accueille : "Entrez, entrez ! Ne faites pas votre timide ! Ça vient à peine de commencer, regardez ce p'tit cul ! Il est prêt pour recevoir votre clystère !"

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