Jin Ping Mei

Une fois n'est pas coutume, nous allons parler d'un livre !

Jin Ping Mei est un livre révéré en Chine, car c'est le premier ouvrage écrit dans un chinois moderne. Exactement comme Pantagruel, en France. S'il figure dans ce blog, c'est que c'est un livre très, très sexué. Son auteur a pris le pseudonyme de "Lanling Xiaoxiao Sheng" (le lettré railleur de Lanling.)
Il aurait été écrit dans le nord de la Chine, à la toute fin du XVIe siècle (donc un demi-siècle après Rabelais.) Néanmoins, les plus anciens manuscrits dont l'on dispose datent de la fin du XVIIe siècle. Entre temps, il y a eu sans doute des corrections, des rajouts... D'où parfois, des problèmes de continuité, des personnages qui vieillissent subitement d'un chapitre à l'autre ou qui, au contraire, conservent le même age durant plusieurs années...
La Chine en l'an 1100
Jin Ping Mei se présente comme un roman dérivé d'un autre classique, Au bord de l'eau. Il en reprend quelques personnages (dont Ximen Qing, qui devient le personnage principal) et plusieurs évènements. Comme ce dernier, il se passe donc au XIIe siècle et dans la Chine du sud.

En France, on est en plein Moyen-âge. Le Royaume se limite grosso modo a l'Ile-de-France et à la région Centre. Philippe Auguste parviendra à conquérir la Normandie, la Picardie et une partie de l'Aquitaine. On commence à bâtir des cathédrales et des moulins, mais cela reste une époque sombre et arriérée.

A contrario, on découvre une société Chinoise assez moderne. Les canaux artificiels permettent une circulation rapide à travers l'empire. La bureaucratie est confiée à des fonctionnaires, recrutés sur concours (et non par hérédité.) Il y a une police et une gendarmerie, avec des tribunaux. Il y a des médecins. Enfin, depuis le IXe siècle, la Chine maitrise l'imprimerie. Les documents officiels circulent à grande échelle. Les lettrés disposent de véritables bibliothèques et dans les villes, la majorité des gens savent lire et écrire.
Une Chine hétérogène où bouddhisme et shintoïsme cohabitent, ainsi que quelques musulmans. A Qinghe, dans l'actuel Hebei, il y a des moines errants indiens et des zoroastres Perses ayant fui leur pays face aux Arabes. On y trouve en quantité des produits importés du Cambodge, des Philippines, du Japon et même de Java. Les produits d'Asie Centrale et du sous-continent Indien, plus rares, sont désignés comme "Turcs". Quant aux produits venus du lointain occident, ils sont désignés comme... Français !
En terme d'organisation de l'état et de progrès scientifique, la Chine du XIIe siècle est au niveau de la France du XVIIe siècle. Par contre, pour les droits des femmes, ce n'est pas cela...

On bandait les pieds des petites filles pour qu'ils ne grandissent pas. L'auteur évoque à peine les seins ou les fesses des personnages féminins. Par contre, il décrit systématiquement leurs pieds.
Il y a un partialisme du pied. Mais ces pieds bandés sont aussi un moyen de limiter leurs déplacements.
Les personnages influents, comme Ximen Qing, ont plusieurs femmes. Elles sont cloitrées dans une section de son palais. Elles ont à peine le droit de voir les visiteurs masculins et ne sortent dehors qu'à bord d'une chaise à porteur. Dans la France du Moyen-âge, lorsqu'un homme s'absente (guerre, croisade...), sa femme prend le pouvoir. Mais en Chine, c'est le fils ainé ou ici, son gendre, qui tient la maison. Ce huis clos permanent est source de tensions et de jalousies entre les femmes.
Les servantes sont achetées et vendues, comme du bétail, dès l'enfance. Les maitres de maison jouent volontiers du droit de cuissage. Un domestique méritant se verra même offrir une servante comme épouse. Et bien sûr, on ne leur demande jamais leur avis...

Une soumission qui ferait hurler Linh-Lan Dao et Julie Hamaïde !
La prostituée tient un rôle centrale dans la cité Chinoise. En bas de l'échelle, il y a des femmes livrées à elle-même, qui se prostituent. Puis il y a des prostituées embauchées par une taverne. Au sommet de la hiérarchie, il y a la yiji (littéralement artiste-prostituée.) Dans sa maison-close, elle sert à boire au client, joue de la musique, chante, écris des poèmes, joue aux dés ou aux dominos... Le client ne vient pas forcément pour le sexe. Il peut lui verser une rente pour s'assurer d'être son unique client. Elle peut également venir chez lui, avec des consœurs, pour animer les banquets. Un notable peut épouser une yiji. Deux des épouses de Ximen Qing étaient des yiji.
Les Japonais reprirent tels quels les caractères (qui se lisent geiji en japonais) et ce type de prostituée devint la geisha...
L'homosexualité masculine est également très présente. Pour les notables, posséder un garçon, c'est le comble de la luxure. Un jeune homme peut également offrir ses fesses pour se mettre sous la protection d'un homme plus puissant. A chaque fois, il s'agit de relations éphémères et purement sexuelles. Actif ou passif, ce qui est mal vu, c'est d'être exclusivement attiré par les hommes.
L'homosexualité féminine semble plus tabou. Un homme peut coucher avec qui il veut, mais si une femme mariée couche avec un(e) autre, il y a adultère et le couple est jeté en prison !

Chen Wu, la première épouse de Ximen Qing, ne couche avec son mari que le jour où elle sait qu'elle tombera enceinte. Le sexe la répugne. Par contre, elle dort régulièrement avec des servantes ou des nonnes. Est-elle lesbienne ?
Pan Jinlian, la sixième épouse, est nymphomane. Délaissée par Ximen Qing, elle se prend un amant. Un jour, elle invite Pang Chunmei, sa servante, à participer aux ébats. Et à l'absence de son amant, Pan Jinlian passe des nuits passionnées avec Pang Chunmei. C'est la seule mention explicite de saphisme. Une fois les deux femmes séparées, Pang Chunmei fera tout pour retrouver son amante. Indiquant qu'il y a de vrais sentiments entre elles.
Le livre
Le personnage principal, c'est Ximen Qing. Lui et sa maisonnée n'occupe pourtant que les deux tiers du livre. Hier comme aujourd'hui, en Chine, puissance financière, politique et sexuelle vont de paire.

On suit l'ascension de Ximen Qing, qui en veut toujours plus.
Commerçant rusé, il ouvre tous les types de négoces (herboristerie médicinale, achat/vente de bijoux, soieries...) Et sa surface financière lui permet d'être impliqué dans toutes les grosses transactions.
A force de courtiser les mandarins locaux, il finit par décrocher une charge. Le voilà avocat général, puis juge.
Enfin, déjà veuf et marié à trois femmes, il en épouse trois de plus. Pan Jinlian lui donne le goût de la fellation, puis du bondage. Avec Libère, un page androgyne, il découvre la sodomie. Ca tombe bien car Wang Liu, la volage épouse du gérant d'une de ses boutiques, préfère derrière que devant... Ximen Qing s'offre une espèce de cock-ring et divers sex-toys. Li Ping'er, sa cinquième épouse, accepte bon gré, mal gré qu'il la prenne avec. Puis il use et abuse d'un aphrodisiaque qui fait gonfler son sexe de manière monstrueuse. En parallèle, il mène quantité de liaisons avec des servantes et des prostituées de divers niveaux. Lorsqu'il apprend que sa yiji préférée (qu'il paye pour une exclusivité) en voit un autre, il se tape la mère de son rival !

L'auteur n'a aucune complaisance envers Ximen Qing. Il est doué en affaires, mais il se fait rouler en permanence par une bande de piques-assiette. Il a obtenu un titre de mandarin, mais il a besoin d'aide pour déchiffrer les documents officiels. Il honore de nombreuses femmes, mais il ne voit pas que plusieurs d'entre-elles ont des amants...

Au final, il y a au moins une scène de sexe dans chacun des cent chapitres de Jin Ping Mei. Certaines sont très explicites avec de nombreux détails. Par contre, ailleurs, l'auteur se contente de dire : "...Et ils ont fait l'amour, point." Tantôt, il est très cru, tantôt, il est très pudique.

Certains termes chinois sont assez universels : jouer de la flute, la fleur de la porte de derrière... D'autres sont plus obscurs : la tête de tortue, nuages et pluie...

Jin Ping Mei serait l'acronyme des noms des trois personnages féminins principaux : Pan JINlian (Lotus d'or, en VF), Li PING'er (vase étroit) et la servante Pang ChunMEI (Fleur de prunier.) D'où la traduction "Fleur en fiole d'or".
Sauf que ces trois femmes ne sont pas les trois personnages féminins principaux. En fait, les "lotus d'or" sont les pieds et tout le fétichisme des pieds. Le "vase étroit" est un euphémisme pour le vagin. Quant au prunier, comme il fleurit l'hiver (donc hors des saisons habituelles), c'est une image pour les relations extra-conjugales.
Jin Ping Mei signifie donc "fétichisme des pieds, vagins, sexe illicite". On dirait un titre "Google" de Private...
Conclusion
Jin Ping Mei mérite une place de choix dans un "enfer". C'est un vrai roman, mais avec un érotisme omniprésent. Surtout, par rapport aux productions occidentales, il apporte de l'exotisme. C'est la sexualité des Chinois, vue par les Chinois.

Reste que c'est une épopée, dans la tradition du roman chinois classique. Il possède 2400 pages de textes, 50 pages d'introduction et 400 pages de notes (très utiles, sauf à connaitre la grammaire et les expressions chinoises...) Sans oublier les très nombreux personnages secondaires. Il faut être motivé pour s'y attaquer !

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