Salon International de la Lingerie


C'est l'évènement du mois de janvier : le Salon International de la Lingerie. L'occasion d'observer les dernières tendances... Et de se rincer l'œil.

Le contexte est plutôt morose. L'industrie française de la mode a connu un recul de 4,6% en décembre. Surtout, il ne se passe pas un mois sans une annonce de plan de redressement, de faillite, de liquidation, etc. dans le secteur du textile.


Le salon déménage du hall 5 au hall 3 de la Porte de Versailles. Davantage de place... Mais moins d'exposants. Aubade, Chantelle, Lise Charmel et Simone Pérèle sont parmi les rares grandes marques présentes.


Donc pas mal de remplissage : pyjamas, plaids, caleçons pour hommes, chaussettes...


Beaucoup de sous-traitants. Les Italiens mettent en avant leurs utilisations des licences (comme ici, Playboy.)



Les exposants Chinois peuvent enfin revenir. Ils sont présents à Interfilière, l'espace dédié aux industriels et aux sous-traitants. Avec seulement 5,2% de croissance du PIB et 6,8% de croissance de la production industrielle, l'économie Chinoise va mal. Beaucoup d'industriels alignent leur clôture d'exercice sur le nouvel an Chinois et les objectifs ne seront souvent pas atteints.

Cela se ressent sur les stands, avec des exposants guettant le moindre contrat et des visages plutôt maussades.


La Turquie, elle, souhaite pousser ses propres marques. Bonjour Madame, cela sonne très Français, mais c'est une marque turque !


L'une des tendances de ce Salon International de la Lingerie, c'est les tailles XXL. On peut y voir un moyen de se rapprocher d'une clientèle Afro-antillaise ou Maghrébine, où il y a davantage de femmes en surpoids.

Mais les fabricants savent qu'en matière "d'inclusion", ils marchent sur des œufs. Montré du doigt à l'heure de Me Too, Victoria's Secret avait pris un virage woke vers 2020. Des défilés et des visuels avec des trans, des femmes androgynes, des obèses, des handicapées... Sauf que ses clientes ne sont pas ceux qui protestaient. Ses clientes, elles veulent de la beauté et du sexy, pas des leçons de moral et du "toutes les femmes sont belles". Résultats : -7% de chiffre d'affaires en 2022 et -7% sur les trois premiers trimestres de 2023, avec une marge en recul de 40%. Donc pas question d'imiter l'Américain !


Autre tendance, la femme de 2024 veut être belle tout le temps. Au sport, durant ses règles, lorsqu'elle allaite... C'est aussi le diktat des réseaux sociaux, avec ces influenceuses à la beauté parfaite, H24.

D'ailleurs, certaines photos ressemblent à des posts de réseaux sociaux.


Pour ce qui nous intéresse, on est sur de la lingerie qui montre (presque tout.) Soit par des matières très transparentes, soit par des pièces très échancrées, qui ne cachent guère que la fente et les tétons !
Mais ce qui manque, ce sont des mises en scènes. Les rares photos sont prises en gros plans et il n'y a aucun slogan. Cette jeune femme, avec son micro-string, que fait-elle ? Est-ce une "créatrice de contenu" pour Onlyfans ? Est-ce qu'elle porte ça pour faire plaisir à son amant ? Ou bien est-ce qu'elle compte se dégoter un amant avec ?

Les grandes marques vont mal. En général, les financiers ont du mal à appréhender le marketing, avec ses retombées un peu virtuelle. Donc, ils ont tendance à le sabrer lorsqu'il faut faire des économies.
Les jeunes marques ont tendance à se focaliser sur la création de la collection, point. Ca donne ces stands un peu ridicule. Surtout que les matières synthétiques se roulent en boule avec l'électricité statique. Donc on a trois ensembles tout froisées, qui se battent en duel. Ca fait plus travail de fin d'année d'école de la mode, que vraie marque de lingerie en devenir. En plus, il n'y a personne sur les stands. A 16h, tout le monde est au bar (ils offrent des coupes de champagne.)
Quant aux -nombreux- sous-traitants, ils n'ont pas vocation à promouvoir les marques. Ils sont là pour montrer leur savoir-faire industriel. Le marketing, c'est pour leurs donneurs d'ordre.


La nouveauté, c'est un coin dédié au sex-toys, avec des exposants dédiés. On sent qu'en France, on est très timide. Aux Etats-Unis, il existe des ETI du sex-toys et ils vont rechercher le parrainage de stars du X. Là, on sent des exposants qui tâtonnent, qui ne savent pas trop quels sont les goûts du public. Il y en a même un qui fait le coup du vibromasseur pour masser le cou...


La journée s'achève par un défilé spécial. En effet, le Salon International de la Lingerie, fête ses 60 ans. Bien sûr, cela commence en retard. Avec son lot de vigiles à QI négatif, de gens qui s'impatientent, de resquilleurs de mauvaise foi... Et pour une raison inconnue, les mannequins doivent quitter les lieux juste avant l'ouverture ! Elle s'apprêtent à défiler devant plusieurs centaines de regard en petite tenue. Mais en peignoirs molletonné, elles font les pudiques, sprintant à travers la file d'attente...


Retour sur l'histoire de la lingerie.

La femme de 1964 vivait dans un monde très conservateur. On était encore dans la France puritaine d'après-guerre. Elle se mariait vierge, à 20 ans. Si elle travaillait, c'était souvent à temps partiel ou dans un travail sans qualification. Le ménage vivait modestement. Alors, la lingerie, elle l'achetait sur le marché. D'ailleurs, la pudibonderie allait jusqu'à éviter le mot "lingerie". On parlait de bonneterie, jeannerie ou de corseterie.


La femme des années 70 poursuivait ses études, avant d'entrer dans la vie active. Elle avait envie d'en profiter pour goûter aux mecs. Elle portait des vêtements plus courts et plus cintrés. Donc il lui fallait de la lingerie épousant davantage ses formes.

Avec l'augmentation du niveau de vie, la norme, c'était désormais la boutique de lingerie. Les ensembles étaient rangés dans des tiroirs. Mais attention au regard d'opprobre de la boutiquière. Car elle était amie avec la boulangère, la bouchère, etc. Alors on vous aurait vite créer une réputation de débauchée...


La femme des années 80 voulait être une "working girl". Elle se mariera quand elle se sentira prête ! C'était aussi la grande mode de l'aérobic, donc celle des cyclistes en lycra.

Les supermarchés étaient devenus le premier magasin de lingerie de France. Des têtes de gondole comme Dim purent conquérir le marché du bas de gamme. Les autres canaux (grands magasins, boutiques de quartier, VPC...) durent se repositionner. Idem pour les fabricants. Les ETI de province, souvent familiaux, furent obligé de monter en gamme et de faire des efforts sur le dessin, mais aussi la promotion.


Puis ce fut le sida. Le message était très violent. Coucher sans capote, c'était risquer d'attraper le sida et de mourir sous trois semaines, dans d'atroces souffrances. Les premiers préservatifs sont épais. On les achète en pharmacie, avec le regard noir des autres clients et du pharmacien. Beaucoup préfèrent s'abstenir. L'âge du premier rapport et le nombre de partenaire régressèrent. Les clubs libertins fermèrent.

Les couples coquins préféraient jouer chez eux. C'était l'âge d'or des vépécistes, qui proposaient lingerie de marque et cassettes porno dans des plis discrets. Madame enfilait donc son ensemble sexy et ils couchaient devant un Marc Dorcel.
Aubade -qui n'était pas dans les catalogues- utilisa pas mal cette image de la lingerie comme "cadeau" pour l'homme. C'était aussi l'explosion du Wonderbra. Les fabricants commencèrent à sous-traiter en Tunisie et à davantage faire attention à leur marge.


Dans les années 2000, on assista une resexualisation de la vie. Notamment dans les clips de rap, avec une omniprésence de la femme en petite tenue. Les campagnes de pub se firent carrément explicite. C'est ce que l'on appelait la mode "porno chic"... Qui inspira ensuite l'esthétique des films X (et non l'inverse.)
Il y eu aussi la mode "lolita" avec Britney Spears, Christina Aguilera, puis Alizée. Des paroles ambigües, des déhanchés sexy. Certains s'émouvaient de voir des adolescentes porter des strings. Et d'abord QUI cherchaient-elles à séduire ? Comme par hasard, bien plus tard, des tenants du porno chic pour Lolita, comme le photographe Terry Richardson ou l'agent de mannequin Jean-Luc Brunel furent mis en examens pour attouchements sur mineurs.

Victoria's Secret (dont le propriétaire, Les Wexner, était un proche de Jeffrey Epstein) montra le chemin. Il fallait des boutiques en propre. Les marques s'installèrent dans les centre-villes. Souvent, ces structures familiales cédèrent leurs affaires à de grands groupes. Désormais, on parlait synergie, maitrise des coûts, exportation...


La femme des années 2010, n'a plus honte de sa sexualité. Sur les applis de rencontre, elle se laisse draguer par des hommes d'un soir. Il fallait être la plus belle et la lingerie faisait parti de la parure. Les sex-toys firent leur arrivée. Notamment grâce à Cinquante nuances de Grey.

L'autre versant, ce fut l'arrivée des réseaux sociaux, qui entrainèrent les premières influenceuses. L'hypocrisie des réseaux sociaux US, c'est de censurer la nudité, tout en se montrant complaisant avec les photos habillées, mais explicite. Les starlettes, comme les Kardashian se montraient volontiers presque nues. Au quotidien les amants exigent des "nudes".

Les fabricants se montrèrent très créatifs, pour répondre à une envie d'esthétique.


La femme des années 2020 est pleine de contradictions. Elle va dénoncer Seb, qui a dit une blague "machiste" à la machine à café, qui l'a "choquée". Et une fois chez elle, elle tient un OnlyFans, où elle s'enfile des sex-toys face caméra. Elle milite pour l'abolition du porno, mais elle écoute des e-books érotiques, le soir.
Les hommes ne sont guère mieux. Sur Whatever, ils conspuent les femmes ayant eu "trop" d'amants et ils dénoncent les "e-thot" (e-pétasse), alias "créatrices de contenus"... Qu'ils sont souvent les premiers à financer.

Les marques de lingerie sont dans la tourmente. Les centre-villes où ils sont installés, sont désormais enclavés et en voie de zadisation. Qui irait acheter un ensemble à 500€, dans une boutique aux abords couverts de détritus et avec un toxicomane par terre, en train de planer ? Les centre commerciaux sont dominés par les chaines de milieu de gamme (Etam, Undiz...), qui proposent de beaux produits pour beaucoup moins cher. En plus, il y a la concurrence d'internet avec des sites de "bons plans", du "deuxième main", voir du TDC. En prime, certaines marques appartiennent désormais à des fonds d'investissements, avec une vision à court terme.

A quoi ressemblera la lingerie des années 2030 ?

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