Les leçons de séduction d'Aubade

Normalement, Le Point Q, c'est du 100% explicite ! Pas d'érotisme ! Mais c'est aussi un blog sur la culture cul ! Et je n'ai pas résisté à vous compter la saga des publicités Aubade...

Au début des années 90, la lingerie féminine en était encore à la préhistoire. Les femmes achetaient des ensemble Dim dans les supermarchés. Les vépécistes type La Redoute et 3 Suisses proposaient des grosses culottes en coton. Restaient les petites boutiques de lingerie, qui vendaient des nuisettes et bas avec porte-jarretelles n'ayant guère évolué depuis les années 50...

A l'origine, les soutiens-gorges avaient une fonction orthopédique. Un certain docteur Bernard avait ainsi ouvert une fabrique de corsets, en 1875. Jean Pasquier la racheta en 1920. Son fils, Claude Pasquier prit le virage de la lingerie fine, en 1958. Il renomma l'entreprise "Aubade" pour évoquer la séduction. Mais difficile d'exister, dans les boutiques de lingerie de quartier.

A la fin des années 80, les mentalités changèrent. Certains citèrent Madonna, apparaissant volontiers en lingerie dans ses clips. Les femmes sexy ont voulu adopter le look de Madonna. Britney Spears, dans sa période Oops I did it again, lissait apparaitre son string, tout en déclarant être vierge. De quoi déculpabiliser les ados.
Il y avait aussi l'explosion du sida, qui entraina une mode du "porno à la maison". Les libertins ne voulaient plus aller au club échangiste, alors ils jouaient chez eux...

L'univers de la lingerie fine se renouvela. Des marques apparurent ou émergèrent comme Wonderbra (apparu en 1939 sous le nom de Wonder-bra.)

Ann-Charlotte Pasquier succéda à son père, Claude Pasquier, dans les années 80. Elle fit plusieurs agences, avant d'opter pour la méconnue Colette&Flimon. 

Le photographe était tout aussi inconnu : Bernard Matussière. Il a -entre autre- fait des photos de nus féminins. Des corps souvent pris dans la pénombre. Des dos, des fesses, des seins, plus rarement des sexes et encore plus rarement des visages. Une nudité dans la suggestion et l'intimité. Quelque part, l'univers des "leçons de séduction" était déjà là !

En 1992, Aubade diffusa ainsi sa "leçon N°1".
Sur le fond, la femme d'Aubade n'a rien à voir avec Madonna ! C'est votre collègue, votre prof, votre voisine. Une femme apparemment sage. Son amant est montée chez elle et elle s'est changée. Elle porte un ensemble sexy. L'amant veut immortaliser cela, mais elle ne veut pas que l'on voit son visage...

Les photos étaient diffusées une par une, chacune accompagnée d'un texte coquin. Il faut le faire patienter, cet amant empressé !
La marque de lingerie n'hésitait pas à s'offrir des 4x3 et à faire de la pub dans des revues masculines (pour que les maris et copains poussent leurs compagnes à acheter de la lingerie Aubade !)

Dans les années 2010, Aubade était volontiers cité comme un succès. Il existe quantité de sites, qui décryptent cela.

En fait, le succès fut loin d'être immédiat ! Le talent d'Aubade, c'est qu'en parallèle, ils renouvelèrent leur gamme. Avec des produits plus osée. A la leçon N°5, enfin, l'effet sur les ventes fut sensible...


D'ordinaire, les mannequins d'Aubade étaient anonymes. La star, c'est la lingerie, pas elle. D'après Ann-Charlotte Pasquier, la fille des leçons N°5 à 12, c'était Vanessa Demouy.
Alors au fait de sa gloire avec Classe Mannequin, elle tenta de négocier un juteux contrat avec le fabricant. Or, on l'a dit, la star, c'est la lingerie ! Ils en embauchèrent donc une autre.

En coulisse, Aubade connu des galères. L'agence Colette&Flimon disparu et ils passèrent chez Carlin International. Ils en profitèrent pour changer de photographe.

Pour le grand public, tout était transparent.

"La leçon de séduction" devint un objet érotique en soi. A l'heure d'internet, on s'envoyait par mail des PPT regroupant les leçons.

Conscient qu'il existait un marché, Aubade créa un calendrier. En 2002, il y eu même un livre de photos, L'art d'aimer.

En 2005, Ann-Charlotte Pasquier vendit au groupe Calida.

On était alors à l'apogée de la mode porno-chic. Plus questions de sous-entendus et de secrets de la chambre à coucher. Les pubs évoquaient carrément les pratiques : SM, fessée, triolisme, mélangisme... Des hommes apparaissaient parfois en arrière-plan.

Le marché avait changé. Terminé les boutiques de proximité. Place aux Grands Magasins et surtout, à des boutiques de la marque, dans les beaux quartiers et les centres commerciaux.
La dénomination "Aubade, lingerie de femmes" laissa place à un "Aubade, Paris" évoquant les marques de luxe.

Discrètement, les marques de lingerie fermèrent leurs usines et délocalisèrent : Chine, Thaïlande... Un savoir-faire centenaire se perdit. Calida, lui, opta pour la Tunisie.

A force de changer de photographe et de thème, Aubade se perdit. Pas facile de garder la flamme avec une campagne débutée un quinzaine d'années plus tôt. L'erreur fut sans doute de chercher à changer, tout en prétendant être dans un mouvement continue.

La preuve de cet errement se trouvait notamment dans les changements de police de caractère. Ici, un style censé évoquer un boudoir...

Désormais, Aubade s'autorisait des photos couleurs pour ses collections.

Par contre, les publicités restaient en noir et blanc. En 2018, les "leçons de séduction" ont vécu. Place à "Parlez-vous Aubade ?" Un série de photos avec mannequins siliconés, trop parfait. On est loin de la "girl next door" de 1992. L'ambition artistique est également passé à l'as...

Le fabricant voulait s'offrir le fronton des Galeries Lafayette pour lancer son slogan. Il se heurta à un mouvement que l'on n'appelait pas encore woke...

La femme Aubade veut être sexy pour son homme (que ce soit son mari ou un amant d'un soir.) Pour les "féministes", c'est de la soumission, donc de l'oppression.

Les tendances changent une nouvelle fois. Les femmes d'aujourd'hui achètent leur lingerie sur internet et elles exigent des promotions.
Il faut également parler protection de l'environnement (une tartufferie, alors que les pièces de lingerie sont fabriquées dans des usines digne de Zola, voyagent par avion et sont jetées en masse à la fin de la collection.)

Quel est l'univers d'Aubade en 2022 ? On voit une blonde et une métisse se balader dans un jardin luxuriant, mais ces photos ne racontent rien. C'est le mal récurrent de campagnes de pub validées par 10 comités et qui, à vouloir plaire à toutes, sont très fades...

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