Eros

Vous possédez déjà l'intégrale de Druuna, ainsi que le préquel ? En attendant, un nouvel album, Glénat édite Eros et XXX. Il s'agit d'un mélange des Druuna X, reclassés par thèmes. Deux albums qui se complètent et se contredisent. Commençons par Eros, un "making of" de Druuna.

"Eros" comme "érotique", bien sûr. Mais également comme le nom grec de Cupidon, le fils de Venus/Aphrodite.

Paolo Eleuteri Serpieri revendique un érotisme pré-chrétien (et post-chrétien.) Le nom "Druuna" provient des Celtes.
Ses crobards de Druuna sont accompagnés d'extraits de textes et de poèmes latins et grecs.

L'obsession de la morale chrétienne, elle est chez Manara ! Gare à celui qui les confonds !

On a tout de même droit à quatre croquis de Druuna aux côtés d'un serpent. Ici, il y a même une pomme !
Mais comment faut-il interpréter cette scène très biblique ? Que Druuna est inconsciente du danger et qu'elle va vers la catastrophe par naïveté (comme l'Eve dans la tradition judéo-chrétienne) ? Ou qu'elle est complice du serpent dans sa volonté de corrompre Adam (tel que rapporté dans un hadith) ?

Paolo Eleuteri Serpieri a été d'abord artiste-peintre et illustrateur. Il est venu à la BD presque par accident. Au temps des éditions chez Bagheera, chaque albums se terminait par quelques croquis de l'héroïne. Pour les rééditions Glénat, c'était carrément des cahiers de croquis, crayonnés, etc.

On n'est donc guère surpris de voir des croquis supplémentaires.

Ce qui est plus étonnant, c'est que l'on voit des blondes, des filles aux cheveux frisés. Ce n'est pas Druuna ! Et pourtant...

En 1981, Paolo Eleuteri Serpieri dessinait Peut-être. On y trouvait l'essentiel de Druuna : du sexe, un virus qui entraine des mutations, une élite qui n'hésite pas à tuer les mutants...

Par contre, l'auteur découvrit la difficulté à dessiner son héroïne sous différents angles (NDLA : j'avoue que j'ai pris la pire case.) D'autant plus que Lothaa/Druuna nage, court, saute, se suspend... Elle n'a pas l côté statique d'une pin-up. Et le lecteur est d'autant plus implacable que l'héroïne doit être sexy...

En bon peintre, Paolo Eleuteri Serpieri prit des modèles. Il construisit Druuna avec le dos de l'une, les seins de l'autre, les fesses d'une troisième...

Il demandait à ses "presque Druuna" de s'accroupir, de se cambrer, de se mettre à quatre pattes, etc.

Sa volonté de recherche esthétique est palpable. Bien loin de l'image de simple pornographe.

Sur un dessin, on le reconnait à l'arrière-plan, derrière son carton. Un peu voyeur et un peu artiste...

Le résultat de ces recherches, ce sera Morbus Gravis, en 1986. Un succès inattendu, suivi rapidement par Druuna (renommé a posteriori Delta) et la série était lancée...

Dans Eros, on a même droit à un dessin ayant visiblement servi d'étude pour le premier album. L'héroïne aimant y faire le point sur son lit une place, les fesses à l'air...

Près de 40 ans après, Druuna n'est pas datée. Paolo Eleuteri Serpieri n'a pas été obligé de la redessiner. De lui changer sa coupe de cheveux ou sa tenue (il est vrai, minimaliste...)

Paolo Eleuteri Serpieri avait volontairement fait fi de l'esthétique érotique dominante. Au temps de Peut-être, c'était encore le temps des femmes-enfants. Des ingénues peu formées et portant des tenues écrasants leurs formes (cf. Jane Birkin, Sissy Spacek, Deborah Harry...) A l'époque de Morbus Gravis, c'était les garçons manquées. Visage et épaules carrées, elles ressemblaient à des hommes pour mieux les battre (cf. Grace Jones, Brigitte Nielsen, Sigourney Weaver dans Alien...) Puis vint le temps de la beauté fabriquée, avec des femmes siliconées et botoxées (cf. Pamela Anderson, Carmen Electra, Tabatha Cash...)

Il a préféré s'appuyer sur une esthétique Italienne de la femme plantureuse et sexy. Un corps avec des fesses et des seins prononcés, tout en étant musclé. Paolo Eleuteri Serpieri revendique l'héritage de fumetti des années 60 et des sexy comédies des années 70. Il évoque aussi Tinto Brass, spécialiste du film érotique soft. Personnellement, j'y vois aussi du Mario Salieri, pour ce mix entre porno hard et esthétisme. Et comme Salieri, il a débuté par un métier A avant de se lancer dans un métier B, en découvrant sur le tas. D'où des erreurs parfois flagrantes...

En tout cas, c'est une série de beaux dessins. L'amour de l'auteur pour le corps des femmes est palpable. Son désir de bien faire, aussi.

Et nous, on se rince l’œil... 

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